Les contrats flous et juteux du cabinet McKinsey avec l’État français

Stratégie vaccinale mais aussi rôle dans l’Éducation nationale : face à la commission d’enquête du Sénat, les représentants de McKinsey ont cherché mardi à justifier leurs contrats passés avec l’État tout en minimisant leur influence.

Un demi-million d’euros pour « évaluer les évolutions du métier d’enseignant ». 605 000 euros pour la mise en place il y a un an d’une « tour de contrôle stratégique » à Santé publique France. 920 000 euros de prestation en 2019 pour préparer une potentielle réforme des retraites… Trois exemples parmi d’autres des contrats passés entre le cabinet américain et l’État français. Et autant de réponses floues des représentants de McKinsey aux questions de la commission d’enquête des sénateurs, installée mardi :

« Vous avez obtenu un contrat d’un montant de 496 800 euros pour “évaluer les évolutions du métier d’enseignant”. Vous pouvez nous dire à quoi a abouti cette mission ? » interroge la rapporteure de la commission d’enquête sur les cabinets de conseil @ElianeAssassi pic.twitter.com/9JnHkH8LbM

— Public Sénat (@publicsenat) January 18, 2022

Selon des chiffres avancés en février 2021 par la députée Véronique Louwagie, McKinsey a passé des contrats d’un montant total de quatre millions d’euros avec le ministère de la Santé entre mars 2020 et janvier 2021. À la même époque, le journal Le Monde avait également réalisé une enquête édifiante sur les liens entre le cabinet américain et l’État français, dans un article titré « McKinsey, un cabinet dans les pas d’Emmanuel Macron ».

Le quotidien y rappelle l’omniprésence du cabinet dans la campagne de 2017 du futur président avec « une vingtaine de salariés du cabinet très actifs ». Comme il raconte l’omniprésence de McKinsey dans les travaux de la commission Attali sous Nicolas Sarkozy en 2007, avec par exemple un dirigeant du cabinet impressionné par un jeune membre de cette commission, prénommé… Emmanuel Macron.

« Influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques »

Mais à l’époque comme face aux sénateurs mardi, les représentants de McKinsey ont cherché à minimiser l’influence du cabinet de conseil sur la campagne vaccinale française, comme dans l’Éducation nationale. « Nous n’avons pas eu de rôle dans la définition de la stratégie vaccinale », a assuré Thomas London, le responsable du pôle Santé publique du bureau français de McKinsey.

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Pendant une heure et demie, Thomas London a fait l’objet d’un feu nourri de questions au Palais du Luxembourg, en compagnie de son collègue Karim Tadjeddine (responsable du pôle Secteur public). Ce dernier a passé quatre ans à Bercy où il a notamment participé à la création de l’Agence des participations de l’État et à l’ouverture du capital d’EDF, avant d’être débauché par McKinsey puis d’être très actif pendant la campagne d’Emmanuel Macron.

« Pratique courante »

Le sujet du recours par l’État à des cabinets de conseil a gagné en visibilité depuis le début de la pandémie. Depuis ces révélations, s’est amorcée une offensive parlementaire sur deux fronts, avec d’une part une mission d’information de l’Assemblée nationale qui a rendu mardi son rapport, et d’autre part cette commission d’enquête du Sénat « sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques ».

Pas de quoi s’inquiéter pour autant, a argumenté Karim Tadjeddine, puisque « le conseil au secteur public est maintenant une pratique courante […], notamment en Allemagne, au Royaume-Uni ou dans les pays scandinaves. »

La rapporteure sceptique

Manifestement sceptique quant aux explications de McKinsey, la rapporteure de la commission Eliane Assassi (groupe CRCE, à majorité communiste et socialiste) s’est interrogée sur « l’expertise » d’un cabinet de conseil « généraliste » en matière de politique vaccinale.

« Sur les six dernières années, nous sommes intervenus dans la reconfiguration de quelque chose comme 700 chaînes logistiques mondiales : c’est cette expertise » qui était nécessaire à l’État, plaide Thomas London. En pratique, McKinsey a joué dans la campagne vaccinale un rôle logistique, de coordination et de « benchmarking » par rapport aux autres pays, détaille-t-il. Des missions qu’un agent public aurait sans doute aussi pu exercer, fait observer Eliane Assassi.

« Un appui très ponctuel dans l’accélération de la campagne de rappel »

« Est-ce que vous êtes encore (mobilisés) sur des missions liées à la crise sanitaire aujourd’hui ? », embraie le président de la commission d’enquête Arnaud Bazin (Les Républicains). Thomas London répond par l’affirmative : McKinsey apporte au ministère de la Santé « un appui très ponctuel dans l’accélération de la campagne de rappel » vaccinal.

En dehors des prestations du cabinet dans le contexte de la pandémie, les sénateurs ont interrogé leurs deux interlocuteurs sur une foule de sujets, de la fréquence de leurs prestations pour l’État aux liens entre l’un d’entre eux et l’ancien directeur interministériel de la Transformation publique.

« En 2019, McKinsey a obtenu une prestation pour la Caisse nationale d’assurance vieillesse, d’appui à la préparation à une potentielle réforme des retraites, pour un montant de 920 000 euros. Quel était le rôle de McKinsey ? » demande @ElianeAssassi pic.twitter.com/bkjQs9GQiX

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